Des réformes des minimas sociaux qui accenteraient dangereusement la précarité des artistes-auteurs et autrices
Le 31 janvier 2024, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé dans son discours de politique générale que les chômeurs en fin de droits n’auraient plus d’allocation spécifique de solidarité (ASS) et seraient basculés vers le RSA, au titre duquel ils ne pourront plus valider de trimestres pour leur retraite. Cette mesure implique des modifications du code du travail.
Le 7 février 2024, la ministre du Travail Catherine Vautrin a déclaré à la chaîne Public Sénat que le conditionnement du RSA à 15 heures d’activité hebdomadaire, testé jusque-là dans 18 départements, sera déployé dans 47 départements d’ici la fin du mois de février 2024, avant une généralisation en 2025.
Ces réformes soulèvent de nombreuses interrogations sur leur motivation, leur mise en œuvre et leurs effets. Elles engendreraient des économies pour l’État, au prix d’une perte de droits pour de nombreux bénéficiaires.
Appliquées aux artistes-auteurs et autrices, ces mesures antisociales aggraveraient dangereusement leur précarité.
1/ RSA versus ASS
Le RSA permet moins de cumul avec d’autres ressources et ne valide aucun trimestre pour la retraite.
ASS et RSA se distinguent notamment par des règles de cumul avec les autres ressources du foyer sensiblement différentes. Les plafonds de ressources sont également différents. L’ASS permet de cumuler cette allocation avec d’autres revenus, tant que le bénéficiaire ne dépasse pas un plafond mensuel (actuellement 1 271,90 euros par mois et 1 998,70 euros par mois pour un couple).
Le plafond du RSA est lui, plus de deux fois inférieur.
De plus, les bénéficiaires de l’ASS continuent à acquérir des trimestres pour leur retraite, ce qui n’est pas le cas avec le RSA.
Pour mémoire, les artistes-auteurs et autrices sont spécifiquement éligibles à l’ASS dès lors qu’ils sont affiliés à la sécurité sociale des artistes-auteur. En savoir plus.
2/ RSA conditionné à 15 heures d’activité hebdomadaire
A priori ce conditionnement, encore un peu flou à ce jour, ne tient pas compte de l’activité des artistes-auteurs et autrices, ni de la spécificité de la création artistique.
La création artistique est par nature dissociée d’un revenu immédiat et proportionnel au temps de travail. Exercer une activité artistique, c’est avant tout créer des œuvres. Or, si un artiste-auteur sait quand il commence une œuvre, en revanche il ne sait pas quand elle sera terminée. Et encore moins quand elle sera vendue, diffusée ou exploitée…
L’absence, très spécifique, de corrélation entre travail et revenu, se conjugue avec une forte imprévisibilité et irrégularité des revenus de la création artistique. À cette précarité économique particulière – intrinsèque aux métiers de la création – doit répondre une protection socio-économique adaptée.
3/ Le courrier de 30 organisations d’artistes-auteurs et autrices envoyé au ministère du Travail et au ministère de la Culture
« Paris, 12 mars 2024
Madame la Ministre de la Culture,
Madame la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités,
La réforme du RSA, votée en novembre dernier, va désormais contraindre les allocataires à intégrer une entreprise ou à suivre une formation pour une durée hebdomadaire de 15 heures. Le versement de l’allocation sera conditionné à cette obligation, et en l’absence d’effectivité de ces « heures d’activité », l’administration pourra suspendre ce revenu de subsistance. Indépendamment de nos fortes réserves sur cette réforme, nous souhaitons vous alerter sur les dangers qu’elle pourrait faire peser sur l’activité professionnelle des allocataires artistes- auteur•ices.
Les artistes-auteur•ices sont des travailleur•euses non-salarié•es qui créent des œuvres protégées par le code de la propriété intellectuelle. Il est nécessaire de prendre en compte les conditions spécifiques d’exercice de leur activité, leurs professions étant particulièrement exposées aux risques socio-économiques, faute d’une protection sociale complète. En effet, ils/elles n’ont pas droit au chômage.
Dans le cas des professions salariées, l’exercice de l’activité procure systématiquement un revenu régulier qui est notamment fonction du temps de travail. En revanche, la création artistique est décorrélée d’une notion de temps de travail et sa rémunération, très souvent, n’est pas immédiate. Pendant le temps consacré à la création – qui constitue l’essence de leur travail – les artistes-auteu•ices ne sont pas payé•es. Or créer nécessite du temps, et c’est d’ailleurs ce qui fonde la valeur d’une œuvre. A ce stade, ils/elles ne savent pas encore quand et comment sera vendue ou diffusée leur création… Ce n’est qu’une fois l’œuvre achevée, qu’ils/elles pourront être amené.es à percevoir des revenus d’auteur, déterminés en fonction de la vente ou de la diffusion de celle-ci.
De cette absence de corrélation entre travail et revenu découle une forte imprévisibilité sur les revenus à venir, et des versements nécessairement irréguliers. À cette précarité économique particulière, des mesures spécifiques doivent être apportées notamment en matière de minima sociaux (RSA, ASS, à défaut d’un système plus protecteur comme l’allocation chômage).
Les allocataires artistes-auteur•ices qui perçoivent le RSA ou l’ASS ne souffrent ni d’un manque de formation, ni d’une perte d’emploi, ni de problèmes de réinsertion. En revanche, ils pâtissent des difficultés inhérentes aux métiers de la création artistique, aggravées par une insuffisante couverture sociale.
Les allocataires artistes-auteur•ices consacrent bien plus de 15 heures hebdomadaires à l’exercice de leur activité, qui comprend à la fois les travaux préparatoires et de recherches, le temps de conception, mais aussi toutes les démarches en vue de la diffusion ultérieure des œuvres. Et les « activités » envisagées a priori par la réforme du RSA n’ont aucun lien avec les leurs (formation, atelier CV, stage d’immersion en entreprise ; réalisation de démarches d’accès aux droits ; participation à des activités dans le secteur associatif, etc.), mais plus encore, elles viendraient empiéter, sans aucun bénéfice pour eux, sur le temps dont ils/elles ont besoin pour espérer pouvoir vivre de leur profession.
Aussi par la présente, nous demandons que les travailleur•euses affilié•es à la Sécurité sociale des artistes-auteurs bénéficiaires du RSA soient expressément dispensé•es de cette obligation, pour qu’ils/elles ne se retrouvent pas en situation de devoir réduire leur temps consacré à l’exercice de leur activité, voyant ainsi fondre les ressources qu’ils/elles pourraient en tirer.
De surcroît, nous vous informons que nous nous opposons fermement à la suppression de l’ASS, qui est l’unique allocation versée par France Travail à laquelle ont droit les travailleur•euses affilié•es à la Sécurité sociale des artistes-auteurs et qui, comme vous le savez, est plus protectrice que le RSA, car elle permet notamment de valider des trimestres de retraite. Sa suppression serait catastrophique pour les artistes-auteur•ices, qui subissent souvent des périodes de grandes difficultés économiques.
Nous vous remercions pour l’attention que vous voudrez bien porter à ce courrier et vous prions d’agréer, Madame la Ministre de la Culture, Madame la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, l’expression de nos sentiments respectueux. »
AdaBD – Association des auteurs de Bande Dessinée
AICA France – Association International des Critiques d’Art
AFD – Alliance France Design
ATAA – Association des Traducteurs/Adaptateurs de l’Audiovisuel
ATLF – Association des traducteurs littéraires de France
CAAP – Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et autrices
c|e|a – Association Française des commissaires d’exposition
E.A.T – Écrivaines et Écrivains Associés du Théâtre
EGBD – États généraux de la bande dessinée
GARRD – Guilde des auteurs-réalisateurs de reportages et de documentaires
L’ACID – Association du Cinéma Indépendant pour la Diffusion
La Boucle documentaire
La CGT Spectacle
La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse Ligue des auteurs professionnels
La Ligue des auteurs professionnels
SAJ – Société des Auteurs de Jeux
SDS – Syndicat des scénaristes SELF
SELF – Syndicat des Ecrivains de Langue Française
SFR CGT – Syndicat français des Réalisateurs
SMC – Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine
SMdA FC3 Cfdt – Solidarité maison des artistes
SNAA-FO – Syndicat National des Artistes-Auteurs FO
SNAP-CGT – Syndicat national des artistes plasticiens
SNMS – Syndicat National des metteuses et metteurs en scène
SNP – Syndicat National des Photographes
SNSP – Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens
SRF – Société des réalisatrices et réalisateurs de films
STAA CNT-SO – Syndicat des travailleur•ses Artistes-Auteur•ices
UNPI – Union Nationale des Peintres-Illustrateurs
USOPAVE – Union des Syndicats et Organisations Professionnels des Arts Visuels et de l’Ecrit.