Portrait · Sandrine Servent
artiste, curatrice et productrice
Quel est votre parcours ?
J’ai un parcours atypique : je suis à la fois productrice, curatrice et j’ai aussi une production artistique personnelle. Je me laisse la possibilité de naviguer comme je le veux et de pouvoir travailler de plusieurs façons différentes.
Je suis partie à Londres en 2014 où j’ai travaillé dans l’agence artistique DMB Represents qui représente des artistes comme Martin Parr, Bruce Gilden ou Nadia Lee Cohen. Des photographes et vidéastes ayant une création artistique très prolifique mais qui travaillent aussi sur des projets commerciaux avec des agences de publicité, des magazines ou des labels de musique.
Dans cette agence j’ai également eu la possibilité d’organiser des expositions, c’est comme ça que j’ai commencé à faire du commissariat d’exposition. En parallèle, je collaborais aussi sur des projets artistiques avec mon ancien partenaire, le réalisateur et artiste Andrea Vinciguerra. Nous avons produit ensemble le court métrage en stop motion « No I Don’t Want To Dance », sélectionné à Sundance, l’un des plus grands festivals de cinéma indépendant aux Etats-Unis. C’était une période très enrichissante et passionnante.
J’ai créé Mina Raven, dont l’objectif était d’exposer des artistes français·es à Londres et des artistes anglais·es à Paris. Londres est une ville multiculturelle, très dynamique et urbaine. C’est un endroit très stimulant pour les artistes, il y a d’ailleurs une grande communauté et c’est facile de créer des projets avec ses paires malgré une certaine précarité liée au coût de la vie très élevé. Après avoir monté quelques expositions à Londres, je suis revenue en France, déçue par la situation post-Brexit.
Quel est votre lien avec la région Centre-Val de Loire ?
Mes grands-parents vivaient à Saint-Loup en Eure-et-Loir, dans l’ancien presbytère du village. Ils avaient également fait construire un manège équestre de 600 m2 dans un grand terrain derrière la mairie. A mon retour en France en 2020, je me suis installée dans cette maison avec mon conjoint l’artiste colombien César Cuspoca et nous avons commencé à investir le manège pour y réaliser des installations et des parcours d’exposition que nous avons ouvert aux habitants du village. Nous avons créé un site Internet pour partager et archiver plus facilement notre projet.
L’idée était de développer ce lieu et cet héritage, qui était aussi le lieu de création de mon grand-père, l’écrivain Alain Prévost. C’était aussi un peu utopique : la possibilité de créer à travers un geste inutile et gratuit. La création a toujours été au centre de ma relation avec César, sous n’importe quelle forme : peintures, musique, pensées, poésie. C’était un va-et-vient créatif et intellectuel constant, très productif. Il n’y avait pas de frontière entre notre vie et la création, c’était notre quotidien, notre monde. Nous avions néanmoins conscience que certains projets devaient être pensés et partagés publiquement car ils pouvaient raisonner à travers une histoire commune. Comme le projet Korebaju, réalisé en collaboration avec une communauté amérindienne de Colombie et le projet La mine de Grenadou, qui partait du livre « Grenadou, paysan Français » écrit par mon grand-père, qui à l’inverse du projet Korebaju devait être une intervention artistique en Colombie dans la région de Boyaca là où César avait grandi.
César est décédé brusquement fin 2022 à 35 ans. Ce fût un véritable cataclysme pour moi, j’ai perdu une partie de moi-même. Après son décès, j’ai conservé cette initiative d’ouvrir la maison. C’est aussi une continuité de notre histoire et de notre rêve. Des ami·es me visitent régulièrement et créent des œuvres éphémères comme l’artiste Masha Mombelli. J’envisage ces œuvres comme des gestes poétiques, inutiles et gratuits. Je les documente et les collecte comme des traces et des petits trésors. Cette maison est un espace très inspirant, hors du temps, chargé d’histoires et de poésie. J’aime partager cette poésie, elle nous permet d’envisager le monde de façon différente, plus douce.
En 2023, le projet AR(t]CHIPEL a été l’occasion d’un nouveau moment d’ouverture et de partage avec le public. Les habitant·es de Saint-Loup sont très fières de leur héritage culturel et ils étaient ravi·es de découvrir le lieu de travail de mon grand-père Alain Prévost ainsi que l’atelier de César Cuspoca.
Quels sont vos projets à l’avenir ?
Toujours dans la continuité de cette idée de partage, la prochaine étape est de transformer la maison en résidence d’artistes et de développer ma production artistique. La maison, tout en portant des valeurs et histoires communes, fait le lien entre plusieurs générations d’artistes mais aussi entre des disciplines artistiques différentes. Cela permet de toucher des publics différents.
Avec César, nous nous sommes mariés sans rien dire à personne. Nous avions une vision archaïque et étouffante du mariage mais les papiers de César arrivaient à expiration, il fallait réagir vite même si nous ne souhaitions pas enfermer notre relation amoureuse dans un statut maritale. Pour exorciser les peurs et la frustration, nous avions entamé une série de performances et de création d’œuvres autour du mariage. Un travail que nous avons documenté mais qui n’a jamais été montré.
Plus intimement, j’ai écrit une série de poèmes sur le deuil en 2023 après le décès de César. Je travaille également sur un livre qui compile ces textes et des photographies. En parallèle je continue de diffuser le travail de César : actuellement je travaille sur la publication d’une monographie d’artiste qui accompagnera des expositions en région Centre-Val de Loire et en Colombie.
Enfin, je travaille avec d’autres artistes sur un projet d’aide en soutien à la Palestine, à Paris. L’idée n’est pas de faire de la politique mais de récolter des fonds pour une association palestinienne qui aide les familles et les enfants dans la bande de Gaza. J’ai déjà travaillé sur un projet similaire pour l’ONG Act&Help, qui a pour but de lutter contre l’exclusion et la précarité en Inde.
Que représente le réseau devenir·art pour vous ?
César et moi avons découverts le réseau en 2021, à un moment où nous n’avions pas de lien avec les différent·es acteur·rices culturels de la région. Le réseau nous a permis de nous ancrer sur le territoire et d’avoir davantage confiance en nos projets.
devenir·art a également été très utile pour César car il lui a permis de rencontrer ses pairs et de faire des nouvelles rencontres alors que nous étions un peu isolés. Je suis toujours en lien avec certaines personnes. Je suis également très intéressée par les discussions menées par les différentes commissions transversales.