Lettre de soutien au Palais de Tokyo et à la liberté de programmation
« Les accusations et coups portés aux institutions culturelles se multiplient de façon inquiétante en France et partout dans le monde. Au nom de causes politiques, on les accuse précisément d’y faire, ou de ne pas y faire, le jeu de certaines idéologies, d’y représenter trop, ou pas assez de sujets qui animent la société. Cela aboutit à une augmentation des tentatives d’intimidation, des appels à la censure, des campagnes de dénigrement et d’informations mensongères à leur encontre.
Le Palais de Tokyo, après avoir été déjà pris pour cible en 2023 au sujet de l’œuvre Fuck Abstraction de l’artiste Miriam Cahn, est cette fois accusé par une mécène de promouvoir une programmation « dictée par la défense de “causes” très orientées (wokisme, anticapitalisme, pro-Palestine, etc.) », selon les termes mêmes de sa lettre de démission de l’association des Amis du Palais de Tokyo qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux.
Ces propos et ces méthodes recourant à un tribunal populaire sur les réseaux sociaux, déjà éprouvés dans d’autres contextes, sont dangereux pour le monde de l’art, pour les artistes et pour la liberté des institutions, comme pour notre démocratie.
Au nom de DCA, réseau national des centres d’art contemporain, nous soutenons le Palais de Tokyo et, à travers lui, toutes les institutions culturelles qui subissent quotidiennement ce type d’attaques à travers le monde.
Le rôle et les missions des centres d’art contemporain et des musées, qu’ils soient publics ou privés, consistent d’abord et avant tout à promouvoir la création, à porter et transmettre la parole et les préoccupations des artistes qu’elles accompagnent.
Avec une rigueur intellectuelle et une contextualisation des faits qui contrastent avec les fausses informations trop souvent relayées sur les réseaux sociaux sans fondement par celles et ceux qui accusent, les institutions artistiques se fondent sur des travaux de recherche menés par des commissaires, des chercheurs et chercheuses, des conservateurs et conservatrices des musées, etc. Il s’agit de problématiser, de contextualiser, de mettre en perspective pour offrir aux visiteurs et visiteuses des programmations artistiques qui, loin de trancher des débats existants ou prendre des positions partisanes, permettent au contraire de les enrichir dans une perspective critique.
C’est ce que fait le Palais de Tokyo depuis 20 ans en jouant un rôle central dans le système de l’art contemporain en soutenant des artistes aux pratiques variées et en présentant des expositions rigoureuses qui explorent des thématiques plurielles. Il le fait depuis ses débuts sans s’interdire de traiter des sujets parfois polémiques, qui sont au cœur de l’actualité de l’art international.
Tout comme l’art et les artistes, nos institutions culturelles doivent rester libres sous peine de disparaître. Et pour rester libres, elles doivent continuer à permettre la confrontation d’idées dans le cadre de leurs missions, avec sérénité et professionnalisme.
Son ambition, comme l’a rappelé son président Guillaume Désanges, est la même que la nôtre et nous devons la protéger : il ne s’agit pas d’importer les fractures qui existent dans nos sociétés divisées, mais d’éclairer les débats par le prisme de l’art et de la critique. »