L’Etat doit intégrer certains acteurs clés de la décentralisation culturelle, dont les centres d’art contemporain
« Nous, équipes des centres d’art contemporain, demandons à être associées au programme Mondes nouveaux ».
Chaque année, sur l’ensemble du territoire, les centres d’art contemporain produisent et coproduisent des milliers d’œuvres, tout en assurant leur présentation et médiation auprès du plus grand nombre. Accessibles à toutes et tous, fortement engagés aux côtés des artistes comme des publics, les lieux que nous représentons sont des acteurs essentiels de la politique culturelle française et d’indispensables courroies de transmission dans la mise en œuvre des droits culturels.
En 2021, dans un contexte encore marqué par la pandémie, la première édition de Mondes nouveaux était lancée. Comme l’indique le ministère de la Culture, « le Gouvernement a souhaité, dans le cadre du volet culture de France Relance, consacrer 30 millions d’euros à un programme de soutien novateur à la conception et à la réalisation de projets artistiques » ambitionnant « de couvrir le territoire métropolitain et ultramarin, contribuant ainsi à ouvrir la création contemporaine à l’ensemble du territoire français. » Là où partout les budgets sont à la peine, nous ne pouvons que nous réjouir qu’une telle somme ait été allouée à la production artistique contemporaine. Toutefois, les effets limités sur la santé du secteur d’un programme pourtant financé sur le plan de relance, ont été très clairement pointés par la commission culture du Sénat. La production des 264 projets lauréats portés par 430 artistes bénéficiaires, a pour une bonne part été assurée par des agences de production, sans associer certains acteurs locaux dont c’est le quotidien d’accompagner les artistes comme de favoriser les rencontres avec les publics.
Alors que nos lieux, conventionnés et labellisés, rouvraient partout en France leurs portes au sortir du Covid avec la volonté de renouer avec artistes et publics, comment comprendre qu’ils aient ainsi été écartés d’un programme dont les enjeux sont au cœur-même de leurs missions et expertises ? Rappelons-le, les centres d’art contemporain sont des lieux à taille humaine. Lieux de production, de partage de connaissances et d’expériences, ils tissent des relations de proximité avec les citoyennes et citoyens de tous âges. Aussi sommes-nous en droit de nous interroger : les œuvres produites dans le cadre de Mondes nouveaux ont-elles réellement rencontré leurs publics, et ce dans un juste respect de l’équité territoriale ? Leur visibilité a-t-elle été à la hauteur des moyens financiers mis en jeu, et de l’ambition affichée par le ministère ?
Loin du satisfecit officiel, les situations absurdes se sont malheureusement multipliées sur le terrain. Partout en France, les équipes des centres d’art ont été sollicitées a posteriori et en urgence par des artistes pour prêter main-forte et résoudre des problèmes que nous aurions pu d’emblée éviter. Nos équipes, aux côtés des artistes, se sont senties désarmées, et de nombreuses situations n’ont pu trouver de solution : ainsi de productions engagées sans que leur diffusion ne soit anticipée au sein de contextes habituellement non dédiés à l’exposition ; ainsi de certains manques, laissant des artistes démuni·es face aux conditions d’investissement d’un site naturel, patrimonial ou dans l’espace public ; ainsi de ces projets visibles un temps trop court, du peu de personnes qui auront été touchées par une communication limitée. Tout cela laisse un sentiment ambivalent, alors qu’un geste fort en direction de la création contemporaine avait été acté.
Notre constat est le suivant : l’État a tout simplement omis d’intégrer certains des acteurs clés de la décentralisation culturelle, qui œuvrent depuis les territoires où ils sont implantés depuis des décennies pour accompagner les artistes dans la production et la réception de leur travail auprès des publics. Ce maillage territorial au sein duquel nous participons pleinement en tant que centres d’art, aux côtés notamment des écoles d’art et de design, des associations et collectifs d’artistes, des Frac, doit pouvoir continuer à œuvrer pour l’accès de toutes et tous à la création.
À plusieurs reprises, nous avons demandé à être écouté·es et entendu·es à ce sujet. La réponse se fait toujours attendre. Aussi, à l’heure du bilan de l’édition inaugurale et des probables annonces quant à une deuxième édition dont une part du budget a déjà été votée, nous alertons sur les divers manquements passés, et interpellons sur la nécessité d’intégrer les centres d’art contemporain et leur expertise à l’écriture de ce nouveau chapitre. Madame la ministre, dans cette nouvelle édition, qu’en sera-t-il de l’accompagnement des artistes ? Qu’en sera-t-il du respect des droits culturels et des rencontres au plus proche de la création, au cœur des territoires ?